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Cabinet de société (Henry, 2011)

La comète

(Thomas d'Angleterre)

Lecture de La Comète (3:23)

Je ne me mêle plus aux pensifs ni aux vigoureux, aux naïfs ni aux pervers. J’ai punaisé sur ma porte un billet : Ne pas déranger.

Je suis Tristan le porcher. Je suis Isé.

J’ai fait d’eux mon cachot, leur vouant toute ma vie pendant deux années. Une chaise dure et quelques livres, et les outils dont ils se servaient : un paysage solitaire, un nom, une plume fendue.

Je me suis identifié à l’un et à l’autre, tantôt mâle et tantôt femelle. Je me suis saoulé de leur espérance, j’ai exulté dans leur désir, je me suis désespéré.

Une comète tout un automne a balayé le nord, sa longue traîne accrochée dans la haie. J’en ai tiré de terribles conjectures.

J’ai loué en blâmant et aventuré tant de mots qui disaient autre chose que ce qu’ils signifiaient. Breri le savait, qui vécut avant nous, gardien de la vraie tradition : « famosus ille Bledhericus...»

Je me suis échappé à travers bois, j’ai dormi sous un auvent de branches, une épée m’a percé l’aisselle dans mon sommeil. C’étaient des visions, des rêves exorbitants. Je suis comme un saint dont le sang coule à la hanche et aux mains.

Au troisième printemps la mer nous a séparés. Je souffre de part et d’autre, éprouvant le hasard, l’inconstance et la mémoire. Est-ce là que menait la « droite voie » de Bréhéri ?

Si puissante la joie, qui enfante tant de douleur. Ai-je mérité cette épreuve ?

L’orage toute la nuit a couru à grands cris et je n’ai pas trouvé le sommeil. Toute la nuit j’ai senti mon amant qui pleurait dans mon dos, les genoux contre mes reins.

Ce matin, dans l’entrebâillement des volets, un rai de mer paisible où glisse une voile qui s’éclaire et s’assombrit sous les vents tournants.

Il est tassé dans ce lit exigu, mordant le drap, le front contre le mur. Nu, ses membres découplés amaigris, un phasme. Le tirer dans mes bras, lire dans ses pupilles dilatées, lorgner un repli de peau.

Si nous avions su rester ensemble, s’il avait repoussé cette autre qu’il ne pouvait aimer, si je n’avais pas tant tardé.

Sur la terrasse les cyprès luisent, les grives dans l’herbe simplifient la création. C’est le perdre plus sûrement. Je voudrais être aveugle.

Je voudrais être morte, nos poussières mêlées jetées au vent d’aval.


                                      in Cabinet de Société (Henry, 2011)
Version initiale in
Le livre des trente ans (Obsidiane, fév. 2008)
puis dans
Gare Maritime (Maison de la poésie de Nantes, juin 2009)



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