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L'Oca nera

(La Thébaïde, janv. 2019)
Fiche de presse


« Dans ce texte divisé en soixante-trois chapitres (soit le nombre de cases du jeu de l’oie dont il s’inspire), l’auteur jongle avec le temps en voyageant entre le Vercors et Turin, dans un double cheminement littéraire et historique. Sa prose subtile et limpide sert une structure audacieuse.
Un ensemble de récits enchâssés transporte le protagoniste à l’époque de la guerre, pour des enquêtes sur quelques personnages emblématiques : Mireille Provence, dite l’espionne du Vercors, dont les exactions sont reconstituées grâce à une investigation inédite ; un oncle maquisard fusillé à Beauvoir-en-Royans, en juillet 1944 ; également, la cavale d’un mystérieux collaborateur et de son épouse à travers l’Italie de l’après-guerre.
Quant au présent, il se situe dans le Val de Suse, où doit être percé un tunnel de la ligne LGV Lyon-Turin, en butte à une opposition violente. Il est aussi constitué des amours tourmentées du chroniqueur et de sa recherche obsessionnelle et passionnée de l’oie noire d’un jeu insolite : véritable énigme et figure centrale du roman, dans une subtile mise en abyme.
Le narrateur se meut à l’intérieur de son texte tel un pion du jeu, déplacé et balloté au gré des coups du sort. Cet aspect hasardeux, mais complétement maîtrisé, est à mettre au crédit de l’intérêt sans cesse renouvelé d’un ouvrage qui progresse par sauts et gambades. »     (Note de l'éditeur)

(De premières versions des chapitres  4. Le retour de Graz et 22. Le procès, ont été publiés dans la revue Secousse).

Ex machina (La Thébaïde, sept. 2022) : Journal d'écriture de L'Oca nera

Ocabécédaire : Morceaux choisis de L'Oca nera


Extraits

L'épeire       La librairie       Le retour de Graz       La bataille       LA FUITE       L'ivresse       Le mystère de l'oie noire       LA PENSION       Le procès       Les Vigilants      LA CELLULE       Le serpent       Le portrait       Raphaëlle       Le parc       Oiseaux       La prison       Sabotages       La mort


2. L'épeire

« Le tracé des Épeires, écrit Fabre dans ses Souvenirs entomologiques, est une ligne polygonale inscrite dans une spirale logarithmique ». Une mouche s’était prise dans une toile tendue entre les branches basses d’un noisetier – non pas l’une de ces mouches domestiques qui vous parlent à l’oreille et viennent jusque sur votre table conchier votre page d’écriture, mais une petite mouche grise de campagne à la taille effilée, nantie d’énormes yeux rouges. L’épeire, jusque-là cachée dans les feuilles, aussi immobile sous son corset à tête de mort que si elle était piquée dans la boîte d’un entomologiste, se rua aussitôt vers elle à grandes enjambées, agitant d’une longue houle la résille au milieu de laquelle sa proie terrorisée battait furieusement des ailes sans réussir à s’arracher au piège gluant. C’est en cela surtout que nous différons de l’araignée. Si j’étais elle, plutôt que de me précipiter vers ma proie, j’aurais emprunté le chemin polygonal et l’aurais rejointe en tournoyant dans un vertige accru de spire en spire qui me rendrait plus délicieux l’instant où, pliant ma conquête entre mes bras, je lui enfoncerais dans le corps le dard brûlant qui la ferait succomber. Mais elle, non. Elle avait déjà maîtrisé sa victime et, penchée sur la tête grise, elle y plantait sa pointe. Je ne fis pas un geste pour sauver la malheureuse : quoique toujours à genoux dans le pré au pied du noisetier, je m’étais évadé de la scène et, emporté par les remous de ma pensée, je me livrais à des considérations sur ma propre vie. J’étais à la fois l’épeire et la mouche, il me semblait que l’insecte qui mourait si atrocement sur la toile était la figure de mon passé, et qu’en ayant tiré tout le sang à force de le sonder je le trouvais maintenant aussi inerte que si je ne l’avais pas vécu.…



3. La librairie
La librairie du juif

...au-delà d’un antiquaire, tout au bout du passage, la librairie du juif. Celle-ci exerce sur moi une attraction trouble, maussade, presque maladive, si bien que d’ordinaire j’évite la galerie ; quand j’y pénètre, par distraction ou par nécessité, une fascination inquiète me retient toujours devant ses vitrines. Il me semble qu’un peu de ma vie est caché là, dans ces étalages de vieux papiers, un événement perdu, une émotion oubliée qui cherche à renaître et dont ne subsiste qu’un vague sentiment de culpabilité, et je reste à contempler les livres jaunis, rescapés des bibliothèques du royaume de Piémont-Sardaigne, les guides touristiques d’États disparus, les récits de voyages dans des contrées aux noms fabuleux, Aral, Cirenaica, Oubangui-Chari, au milieu de quoi surnagent parfois quelques vieux romans français d’auteurs oubliés au-delà des banlieues de Turin. (...) J’inspecte donc les vitrines, comme d’ordinaire, et remarquant parmi un lot de romans français du Moyen Âge le Tristan et Yseult de Bédier, dans une belle édition illustrée du début de l’autre siècle, une sorte de fétichisme qui veut s’assouvir dans l’instant me décide à l’offrir à Livia pour notre premier anniversaire, qui n’est pourtant que dans trois mois. Je m’apprête à entrer dans la librairie quand autre chose attire mon attention : un peu en retrait, partiellement masquée par un Grand Atlas de l’Univers, une planche en carton où s’enroule un long serpent d’images colorées...



4. Le retour de Graz

Dans une armoire de la ferme de Carrue où il est né, face aux contreforts de Chambaran, mon père avait retrouvé l’un de ces jeux de l’oie qu’on offrait jadis aux enfants en croyant peut-être leur apprendre un peu de philosophie sous le déguisement des images, tout en s’octroyant une heure de répit. Et lui, toujours si discret, si réservé, s’était mis à rire doucement, comme un enfant, malgré l’occasion qui nous amenait là, la lourde 203 hissée dans les collines enneigées pour assister à l’ultime voyage d’Alice, sa sœur, une vieille fille qui tant d’années durant nous avait accueillis le dimanche sur la terrasse de la grosse maison de famille qu’elle nous semblait immortelle ‒ qu’elle l’est devenue, à jamais dressée sur le seuil, frêle et sévère dans sa robe noire mouchetée de fleurs blanches, les yeux riant dans son visage à peine plissé, ses cheveux de cendre tirés sur la tempe où une mèche soulevée par la brise montant du vallon flotte mollement, un couteau à la main, l’autre dans la poche de son tablier d’où émerge une botte d’herbes aux feuilles dentelées, et sur le drap noir, se détachant terriblement, la tête ronde et pâle de l’os du coude saillant de biais, séquelle d’une fracture mal réduite ‒ Alice la douce, la patiente, qui nous était à tous, frères, sœurs et neveux, une seconde mère. Derrière les volets mi-clos, les employés des pompes funèbres préparaient la levée du corps ; deux tréteaux étaient déjà dressés contre un mur de la salle de ferme et des couronnes de lys et de pivoines blanches alignées sur la grande table sous des voiles de tulle, comme pour une noce, n’étaient les rubans de lettres métalliques qui s’y trouvaient agrafés. L’armoire du fond bâillait, un jeu de l’oie y gisait en évidence, sans doute exhumé lors des préparatifs des obsèques. Mon père l’avait retiré de son étui et l’avait déplié sur la table, parmi les fleurs, sans paraître remarquer la gêne qui avait saisi l’assistance, et nous l’avions vu suivre de l’index le long ruban d’images jusqu’à la case de la prison, celle d’où l’on ne sort que si quelqu’un vous y remplace. Et là, s’immobilisant : « En rentrant de Graz… »



7. La bataille
Beppe Grillo et Berlusconi

Quant aux manifestants pacifiques, la plupart des journalistes s’en désintéressaient. On avait pourtant assisté à quelques belles scènes. Avant que les cortèges ne s’ébranlent et n’envahissent les deux routes menant au chantier, les chefs avaient fait montre de leur habileté oratoire et on avait repris en chœur le A SARÀ DÜRA ! qui sert au Mouvement de cri de ralliement. Un amuseur public était venu de Gênes pour haranguer la foule, un histrion à la tignasse hirsute et aux traits enflés se proclamant anarchiste mais frotté d’un bel ail de populisme, qui à force d’insultes et d’obscénités était devenu le chantre de tout ce que l’Italie compte de mécontents. Il promettait de purger le pays, de licencier les politiques et d’envoyer puissants et nantis se faire enculer. Il refusait de mettre les pieds dans un studio de télévision mais les cameramen le suivaient à la trace et se battaient pour récolter ses invectives. Et lui, qui ressassait partout la même simpliste rengaine Vaffanculo ! se haussait parfois pour la télévision d’État jusqu’à plagier la Lettre aux étudiants de Pasolini ou à franchir le détroit de Messine à la nage, comme l’avait fait le Grand Timonier à travers le Yang Tsé – et on l’avait vu, tout ruisselant encore des eaux de Charybde et Silla, proférer sur la plage un discours criblé de rodomontades que les écrans avaient colporté avec délectation. Le prétendu anarchiste avait fondé un parti politique et venait aider ses partisans à prendre pied en Sicile : il ambitionnait de remplacer le bouffon aux cheveux gominés, au sourire émaillé et au visage perpétuellement bruni de séducteur de plage qui depuis dix ans régnait sur l’Italie, l’emballant comme une fille facile à coups de flatteries sucrées et de plaisanteries douteuses, enjôlant les femmes et piquant l’imagination des hommes par ses escortes nocturnes de jeunes louves aux chairs insolentes.. Son rival, le pitre échevelé au nom de grillon qui frottait sans se lasser le même violon monocorde, avait trouvé à Suse des accents inédits pour célébrer la révolution extraordinaire qui était en marche, exalter les héros rassemblés devant lui et appeler à la guerre civile : la Madeleine allait envahir les écrans et réveiller les consciences, on entendrait bientôt les cloches sonner à la volée dans toute l’Italie..



9. LA FUITE

Du bâtiment, une baraque de planches plantée de guingois sur le piémont, on entend par intermittence gronder les colonnes de véhicules blindés et de camions bâchés qui montent de Merano et traversent le village sans ralentir. Les réfugiés ne se risquent au-dehors qu’au crépuscule, quand l’ombre des crêtes couvre les prairies et que les paysans désœuvrés boivent les dernières lueurs sur le pas des fermes. Bien qu’on soit très haut sur l’Adige, les gens n’ont pas ici les goîtres excessifs qui affligent leurs cousins de la vallée adjacente. Passé le col, descendant l’Inn en bourrasque, les vainqueurs s’étonneront sans doute de leurs ennemis : ces êtres disgraciés, abrités derrière des clôtures de piquets fendus, qui les regardent hébétés dévaler vers Innsbruck, c’est tout ce qu’il reste de la nation allemande ; la pureté de la race, la voilà, enfermée à l’écart des migrations humaines, entre deux versants escarpés qui se perdent dans les brouillards. Malgré la bienveillance qui entoure ses protégés, le curé de Naturns est inquiet et il profite de la messe dominicale pour demander à ses ouailles descendues des alpages de donner asile aux pauvres étrangers qui campent aux lisières du village. Et quelques jours plus tard, à l’heure de la sieste, seulement accompagné de l’énigmatique personnage qui leur sert de confident ou de garde du corps, on voit le couple disparaître sac au dos dans les vergers.



14. L'ivresse

La cour du restaurant, à l’arrière d’une grosse maison d’angle de la via Appia, est déjà illuminée de guirlandes. Les tables y sont alignées de part et d’autre d’une rangée d’arbres en pot (oliviers, palmiers nains, bouquets de roseaux exténués) entre lesquels filtrent des mélodies sucrées. Bar entier au fenouil arrosé de nebbiolo, un vin sombre qui échauffe le sang et donne de l’esprit aux plus niais. Nos mots coulent sans effort dans les deux langues : la gloire passée, le peuple des catacombes, le vrai nom de la Providence – et Spinoza s’insinue bientôt entre nous. Alors que j’en suis à argumenter sur la liberté dans l’Histoire, tout en essayant de retirer de la pointe du couteau le filet en croissant de lune caché sous le casque de la bête, s’élèvent les premières mesures du Caruso. Aussitôt tout s’arrête, les gestes se posent, les lèvres se ferment, nous voici comme à la messe. Livia m’a pris la main et se retire en elle, ses yeux se voilent. Ti voglio bene assai… Les serveurs eux aussi se sont immobilisés, même le merle perché dans un pin au bout de la terrasse a cessé de jaser. È una catena ormai… À la table voisine, une Anglaise à la peau laiteuse, terrassée par la mélancolie, hypnotise un garçon de salle de son œil transparent. La lumière a baissé, l’air manque, les plus vigoureux suffoquent. Puis, comme dans un film, après le dernier sanglot du chanteur aveugle, Che scioglie il sangue… tout se remet en mouvement, les serveurs au milieu des allées, les conversations, le merle et l’Anglaise, et Livia se reprend...



15. Le mystère de l'oie noire

Le libraire, encore troublé par les souvenirs qu’il venait d’agiter, me laissa fureter dans les rayons, où je choisis moi aussi un vieil album illustré – le Turin des passages couverts –, un cadeau pour le responsable des chantiers de l’Inn qui, à la mi-juillet, accueillerait ses confrères des grands tunnels alpins. Au moment où j’allais payer, l’homme murmura : « Pas de jeu de l’oie, désolé... », amorce suffisante pour lui parler de ma collection, du voyage à Rambouillet et des recherches de la conservatrice, et le prier, s’il ne voulait pas me vendre son oca nera, qu’il accepte au moins de me la montrer. Il sembla hésiter, tapota nerveusement le comptoir de sa main sèche, puis disparut sans un mot dans son arrière-boutique, d’où il revint bientôt avec une grande enveloppe de papier kraft sur laquelle se lisait le mot BOI – dans quelle langue ces trois lettres prenaient-elles un sens ? Elle contenait une forte planche de carton pliée en deux qu’il ouvrit devant moi. Plus que l’oie qui la ponctuait (noire en effet, sauf le bec, rouge-baiser), ce qui me frappa au premier coup d’œil ce fut l’image centrale où une beauté en longue stola immaculée, parée d’une fine couronne de diamants, se dressait au milieu d’un jardin foisonnant mais indistinct, serrant dans ses bras une oie ténébreuse dont elle tâtait le jabot, comme pour vérifier son gavage : Marie-Antoinette (ou Madama Reale) jouant à la fermière en déshabillé de soie. Quant aux cases, c’était une suite incohérente de scènes de guerre, de mouvements de foule, de personnages chaplinesques à chapeaux mous et moustaches en accent circonflexe, un théâtre extravagant au décor tour à tour grandiose (une colonnade monumentale barrée d’une banderole indéchiffrable), pittoresque (un castel à la Viollet-le-Duc chargé de bulbes et de pinacles), ou indigent (un gourbi de montagne hanté de spectres), à quoi les six oies rythmant le parcours ajoutaient un contrepoint saugrenu – celle-ci par exemple, affublée d’un béret de bougnat couché sur la tempe et d’une petite moustache de farces et attrapes, se pavanant devant un fronton solennel en proie aux flammes. Si ce n’était pas seulement le fruit d’une imagination fiévreuse, que voulait dire ce rébus ?



18. LA PENSION

Leur petit pécule a vite fondu. Pour subsister, l’un traduit en français des brochures commerciales, le plus souvent composées à la diable, l’autre fait des travaux de couture pour la patronne. Ces demoiselles ne semblent pas avoir de talent pour l’aiguille et, même s’il ne leur reste pas longtemps sur la peau, ou à cause de cela (tous les clients n’augmentent pas leur plaisir à le retarder) leur trousseau s’use vite. Hélène recoud les boutons, retaille les jupes et les corsages ; la patronne a même poussé la confiance jusqu’à lui donner à ravauder certains chiffons de dentelles que l’ancienne khâgneuse ne soupçonnait pas qu’on pût porter. Mais plus la chose est légère, mieux la tâche est rétribuée. C’est ainsi que par une économie singulière on voyait les furieuses bordées abritées dans les chambres se changer en accrocs sur des satins raffinés puis se convertir en fil de soie et en aiguilles de 12 avant, suprême rédemption, de se transfigurer en poèmes : Georges écume les bouquinistes et, avec l’argent gagné par Hélène, il s’empare de tout ce qui est italien et revient à la ligne avant la marge. Il lit maintenant Dante à livre ouvert et, tandis qu’elle reprise ses petits linges, une pelote d’épingles au poignet, il psalmodie les vers en veillant à fondre les voyelles, comme il se doit, avant de traduire à haute voix pour Hélène, la conduisant de terrasse en terrasse (elle se plaît assez aux poètes pour en oublier d’écouter l’escalier craquer et les portes gémir), non seulement à travers les cercles de l’enfer, comme le font les esprits exaltés, mais jusque sur les gradins du Purgatoire – quant aux neufs ciels du Paradis, c’est bien trop d’éther. Après les poètes, quoiqu’athée depuis toujours, Georges s’empare de la Bible que sa compagne vient d’acquérir, puis (curiosité, faiblesse, dissimulation ?) il se plonge dans les mystiques.
.



22. Le procès
Mireille Provence

L’article est illustré par l’un de ces portraits ténébreux et interchangeables dont les chroniqueurs de cours d’assise se plaisent à affubler leurs héroïnes. Avait-on besoin de ce visage au plomb pour la faire exister ? La photo montre une bourgeoise en tailleur noir, un foulard à gros pois croisé sous les bouillons de son chemisier, fixant ses juges, ou la mort qui va la soustraire à la colère des hommes, ou rien que la cohue des photographes, raide au milieu des ombres, le coin des lèvres relevé, comme pour narguer ou pour séduire. Dans le box des accusés, Mireille Provence pose encore... Mireille Provence ? Mireille Provence, cette figure sans âge ? Des cheveux tombants, une peau cendreuse et tavelée, un nez excessif au-dessus de lèvres pincées : est-ce là la beauté qui avait foudroyé le terrible Oberland ? Son charme était inadmissible, on aura tâtonné longtemps dans la chambre noire avant de lui composer ce visage pénible. Rien non plus n’y transparaît de l’intelligence que décrit un témoin, très vive. Mais la volonté, vive elle aussi, et implacable, on n’a pas pu la lui ôter des yeux, fixée à jamais dans les sels d’argent, tout entière vouée à la haine dévorante qui a fait du bourreau du Vercors un jouet entre ses mains. Les fuyards pris au débouché des gorges de la Bourne, ou alors qu’ils tentaient de passer l’Isère sous le couvert de la nuit, défilent sous les marronniers de l’école de Saint-Nazaire-en-Royans où quelques sous-officiers font tapisserie autour d’Oberland. Elle est auprès de lui, un peu en retrait, ses cheveux blonds répandus sur les épaules, son turban rouge sur les genoux. Elle écoute, elle examine, elle rappelle ceux que son amant relâche, elle questionne, elle condamne.



25. Les Vigilants
Le four à chaux

Il me reste à explorer à quelques kilomètres de là, près de Villar Focchiardo, une voie cachée sous les arbres que j’ai repérée sur les photos aériennes. C’est une mince via Appia pavée d’un double alignement de dalles grises qui s’enfonce d’un trait au milieu des fayards jusqu’à buter, au bout d’une longue perspective, sur un petit campanile aux arêtes de briques dressé à l’orée d’une forêt. L’édifice est en partie ruiné ‒ au-dessus d’un porche en plein cintre ouvert sur le sous-bois, deux fenêtres géminées serrées sous une arcade sont coiffées par un étage décapité où trois embrasures rectangulaires béent sur les frondaisons. La tour est insérée dans un bâtiment bas aux allures de cloître : un ancien four à chaux. On voudrait se retirer ici pour écrire ou pour peindre, seul au monde au milieu des arbres et des petits champs clos qui marquettent la vallée, protégé des intrus par un chien, respirant les saisons par-dessus les haies, aussi insoucieux que les cochons des Antonins qui paissaient autrefois à quelques lieues de là. Oublier et s’abandonner à sa pente, l’été une table de fer sous les feuillages, l’hiver un fauteuil colonial aux fenêtres de la tour, la main errant sur des quarts de page ou des doubles raisins, avant d’aller à son tour engraisser la terre en espérant renaître un jour en petits caractères au fond d’un catalogue. Ce désert d’arbres et de pierres mortes qui m’attire si puissamment, ne faut-il pas pourtant le faire entrer dans notre projet ? C’est ce que je cherche à imaginer, adossé à l’Alfa devant le petit panneau :

PROPRIETÀ PRIVATA
ATTENTI AL CANE

qui m’a arrêté à un jet de pierre du four à chaux.



27. LA CELLULE

Des images brumeuses, des scènes oubliées lui reviennent en désordre. Saint-Quentin. Grand-Rozoy. Chaulnes. Chaulnes surtout, des collines atrocement remuées par les Minenwerfer, semées de cadavres abandonnés, livrés au soleil et aux pluies, seuls vrais occupants de ce pays douteux que communiqués d’état-major et journaux s’obstinaient à prétendre bientôt libéré, cimetière terreux que même les corbeaux avaient déserté, chassés par le sifflement des torpilles et les explosions des bombes à ailettes qui ravageaient les tranchées, retournant la terre sur les hommes embusqués ou les envoyant valdinguer dans les barbelés, déchirant l’acier et la chair – parfois, après une journée d’épouvante, remontant la tranchée pour estimer les pertes, on butait sur un membre arraché à un corps évanoui dans les airs… et les blessés évacués, les morts dépêchés dans leur capote, certains trouvaient encore la force d’écrire une carte postale à leur mère ou à leur fiancée, choisissant longuement les mots, feignant des sentiments oubliés, avant de se rencogner sous leur toile pour tenter de dormir, les nuits elles-mêmes sans vrai répit, tourmentées par les fusants et mille bruits menaçants, quand ce n’était pas le Wacht am Rhein sauvagement braillé par dix mille poitrines échelonnées le long de la ligne de front, une longue trace sinueuse, hoquetante, qui se perdait au loin dans les ténèbres, prélude à un déluge d’obus envoyés à l’aveugle. Puis un jour, inexplicablement, on vous arrachait à la boue pour vous jeter dans un pays de bois et de vergers où, la lune venue, les chouettes hululaient dans les pommiers. L’enfer faisait place à l’oisiveté et au silence, et malgré les dirigeables qui erraient mollement sur les collines et les gerbes de fusées éclairantes qui montaient à l’horizon, on se reprenait à croire à l’avenir ; l’ennemi avait décroché, on voyait la cavalerie d’Afrique galoper sabre au clair dans la campagne vide et des civils sortir des hameaux en flammes en jubilant – certains (certaines surtout) s’étaient pourtant fort bien accommodés de l’occupation allemande... Puis un train vous remportait et, après deux jours de cahots et de manœuvres aveugles vous abandonnait quelque part au bord de cette France grossièrement déchirée par le front, où la guerre vous sautait à nouveau dessus : les 210 autrichiens pilonnaient les abris, des pluies de shrapnels s’abattaient sur les lignes dont les planches craquaient sous les impacts, et la terre avalait le camarade avec qui, l’instant d’avant, on tirait des plans sur la comète.



32. Le serpent
Musée du jeu de l'oie (Rambouillet)

…dans une petite salle aménagée pour l’occasion, cachées derrière des rideaux de soie rouge, quelques estampes d’une grâce licencieuse – celle-ci, par exemple, où une jeune femme élégante vêtue d’une robe de tarlatane qui masque à peine ses formes opulentes est courtisée par un petit marquis en bas de soie qui, de 9 cases en 9 cases, la rejoint dans un sofa ou sous un ciel de brocard à pompons d’or, elle à demi nue, affalée dans l’oreiller, lui la culotte aux genoux, l’entreprenant dans toutes les positions compatibles avec le maintien sur la tête de sa maîtresse d’une perruque cendrée impeccablement calamistrée, l’amas de nuages oscillant à chaque coup de butoir du marquis, emphatique vêtement de pudeur dont l’unique objet, peut-être, est d’occulter les éclairs de volupté qui fulgurent sous les tempes de la belle… quand ce ne sont pas, sur des feuilles à la facture rudimentaire, d’acrobatiques scènes de stupre sous la croix ou des fornications collectives au pied des autels, qui finissent heureusement dans une grotte enfumée où des fûts de poix bouillante hébergent enfin les impies.



38. Le portrait

La vérité, celle des érudits, policiers bertillonneurs et saints Thomas, la vérité était donc là, brute, austère, cachée dans une grosse liasse de papiers administratifs – ordonnances de dessaisissement, commissions rogatoires, sommations à comparaître –, non pas toute formée, comme un enfant dans le ventre maternel, mais éparpillée dans des procès-verbaux d’enquête parfois affectés d’erreurs grossières (Marcelle au lieu de Mireille) et des dizaines de lettres d’accusation et de dépositions de témoins, souvent contradictoires. Et au milieu de cet amas de feuillets aux bords écorchés, troués d’agrafes, incrustés de trombones ou de cordelettes, la double photo anthropométrique de l’accusée, les cheveux maintenus derrière l’oreille par une longue épingle qui lui perce la tempe.

Mireille Provence

Je suis resté un long moment à la dévisager, décontenancé, les ailes brisées, incapable de croire à l’apparence sous laquelle se manifestait le spectre que je poursuivais depuis si longtemps. Cette jeune femme blonde au visage mélancolique, perdue au milieu des minuscules débris de papier constellant la table des archives, était-ce là la veuve sournoise figée dans l’encre du Dauphiné Libéré ?



40. Raphaëlle

Les voyageurs du début du siècle dernier prétendent que certaines femmes, au fond de la Russie, comme les belles de la Renaissance, faisaient goutter dans leurs yeux un peu de belladone. Outre une loucherie troublante, de tous temps signe de beauté, le poison donne au regard des femmes plus de brillant et de fascination, comme si un désir inavoué dilatait leur pupille. BELLADONE (Atropa belladonna L.). Mydriatique et narcotique. Le charme de Raphaëlle ne m’empêche pas de penser à Livia. Si différentes qu’elles soient de beauté et de tempérament, dans l’ivresse qui m’a gagné je les confonds un peu. Il y a de la cruauté, quand un amour vous tourmente, dans toute autre séduction. L’imagination malade croit se sauver dans une étrangère et ne flatte qu’une passion perdue. Ai-je atteint l’âge où l’on rêve sa vie au lieu de la vivre ? Cette infirmité tout à coup, ce naufrage de la volonté… Dans ma confusion, j’ai pris la main de Raphaëlle, qu’elle m’abandonne sans résistance, aussitôt figée, sévère, comme si le chagrin l’envahissait, comme si nous transgressions l’un de ces interdits qui nous tiennent en vie mieux qu’aucun plaisir. Elle a fermé les yeux, son visage parfait aux cheveux tressés en couronne luit faiblement au milieu des images (une tige d’iris fleurie en étoile, un chardon épineux), noyée dans la pénombre, me contemplant de ses yeux aveugles.



41. Le parc

Les fragments de ciel découpés dans les arbres s’effacent par instants, non la brise dans les feuillages mais le buste de Raphaëlle bougeant au-dessus de moi. Je l’entends gémir tandis qu’elle se soulève et s’abaisse lentement, m’enserrant de ses genoux contractées, la tête renversée en arrière, les bras dressés dans un geste troublant et théâtral, comme si elle invoquait l’un de ces dieux mineurs qui jadis présidaient aux passions, l’une de ces créatures aux formes disgraciées qui ne sortaient des forêts que pour égarer l’esprit des mortels et irriter leur chair, le suppliant de la libérer du désir qui l’oppresse, ou plutôt, au contraire, de dilater son tourment en retardant sa joie. Elle flotte dans ma main, la peau gonflée, le mamelon du sein érigé sous le pouce, son ventre glisse en se contractant sous mon autre main, je la suis avec retard, le pouce perdu dans la fente broussailleuse, caressant une langue de chair qui saille, humide et vivante sous le repli des lèvres. À un moment (très vite peut-être, le temps paraît s’être arrêté) elle s’immobilise, suspendue dans l’air, soufflant violemment par le nez, en même temps que de très loin parviennent des coups sourds suivis de râles et de raclements confus. « Les chevaux ! Les chevaux ! » Elle rit ingénument, comme une enfant dont le hasard exhausse un vœu secret, avant de recommencer à bouger doucement en sifflant sans discontinuer entre ses dents        chevaux…        chevaux…        sur un rythme de plus en plus saccadé, les mots bientôt noyés dans un halètement sourd, une apostrophe indistincte, jusqu’à ce qu’elle trouve son plaisir et s’effondre sur moi.



49. Oiseaux
Oiseaux

Ses oiseaux, Buffon voulait qu’on les attrape vivants. Il les faisait reproduire aussitôt. Audubon, au contraire, tuait et naturalisait. Il ne fait d’abord que cela. Il en reste insatisfait. L’oiseau mort, sa beauté s’évanouit. Il regarde son plumage souillé, imagine son adresse à voler entre les palmes, dans la pénombre humide des forêts, les grappes de fleurs où il se cachait, que sa parure imite, les fruits qu’il dépeçait pour s’en nourrir. « Je désirais posséder toutes les productions de la nature, mais en elles je désirais posséder la vie ». Il se met bientôt à les copier avec acharnement. « I shoot, I drew, I looked ». Je tire, je dessine, je regarde. 435 planches grandeur nature gravées sur cuivre et coloriées à la main, expédiées par séries de cinq aux souscripteurs d’Angleterre et d’Amérique. Chacune de ces livraisons coûtait plus de deux ans de salaire d’un ouvrier.

GEAI BLEU (Cyanocitta cristata). Courte huppe pointue d’un bleu presque indigo ; sourcil, joue et gorge blanc-crème ; collerette noire ; corps fuselé du même bleu indigo ; ailes bleu de Prusse barrées de pointillés noirs et d’une étroite bande blanc-crème, couleur qui termine aussi les rémiges secondaires et les longues plumes de la queue. Quand celle-ci est ouverte, on croirait voir une main à dix doigts à la peau teinte de Prusse et aux longs ongles vernis de céruse. Trois geais sont perchés sur les branches fleuries d’une bignone ; l’un au sommet, la huppe dressée, les ailes et la queue fermées ; un autre à mi-hauteur, huppe rabattue, queue et ailes dépliées ; du dernier, on ne voit que le poitrail qui jaillit derrière le tronc : il tient dans son bec un gros fruit blanc et globuleux et regarde le peintre, fier et sérieux comme un petit enfant qui souffle une bulle de savon. Toutes les couleurs sont nuancées de teintes, de reflets et de mélanges.



52. La prison

Chaque jour, à une heure imprévisible, Oberland passe la grille de l’école et s’avance sous les marronniers, parfois sanglé dans son uniforme réséda, le plus souvent en bras de chemise, bottes et culottes de cheval poudreuses, comme s’il revenait de la chasse. Il jette sa casquette et ses deux coudes sur la table et parcourt d’un regard glacé les hommes alignés dans la cour. Un soldat s’installe à sa gauche avec une machine à écrire et le petit tas de feuillets sur lesquels il frappe les exeat (tout papier fait l’affaire, le dos d’une facture des Tissages Laurent aussi bien qu’une page d’un cahier d’écolier), et Mireille Provence à sa droite, un peu en retrait, remplacée par un sous-officier quand elle est partie en battue. Pendant qu’Oberland interroge les suspects, Mireille les dévisage, scrute vêtements et chaussures (rien de tel pour vous trahir que les brodequins de la Milice dont le maquis a volé un stock à Romans, ou les bottes souples à semelles de caoutchouc parachutées par l’US Air Force ), et parfois, après avoir glissé quelques mots à son voisin, elle retient l’homme que celui-ci allait libérer et le cuisine à son tour, l’éreintant de commentaires venimeux, puis, l’ayant griffé un moment, elle le confond par le calendrier ou la géographie. Aux plus vieux, aux chaussés bas, aux imaginatifs, le dactylo frappe un ausweis. Les autres, on les conduit aux étages de l’école ; au second, ceux qu’Oberland veut réinterroger ; au premier, les condamnés : dans la classe du milieu, les Peines de Mort ‒ mais ils n’en sauront rien avant de se voir ligotés –, et dans celle du fond, tapissée de cartes de géographie, ceux qu’on destine à la déportation, sentence à peine plus légère.



53. Sabotages
L'imagination

…les travées sont hantées par des êtres délirants, grimés, cornus, greffés de tentacules, coiffés en mage, en pirate, vêtus de braies ou de tuniques lacées, qui rôdent parmi des stands encombrés d’un fourniment d’accessoires chimériques, masques fripés et verruqueux, gorgerettes de cuir, prothèses, fioles, tarots divinatoires, jeux de rôles, les rares livres exposés atteints eux-aussi de folie sous leurs jaquettes tapageuses ‒ cette Angelic par exemple, que Raphaëlle contemple un moment avant de la feuilleter d’un air narquois et que plus tard, y mêlant un sentiment coupable, je reviens acheter à la dérobée pour la lui offrir : Angelic nue, le bouton des seins seulement occulté par deux lanières croisées et l’entre-jambe par un coupon de cuir, abandonnée sur un récif, épouvantée, se débattant dans de grosses chaînes scellées au rocher tandis qu’une grande guivre écailleuse ondoie vers elle à travers les vagues et que sur une machine volante, bâton laser au poing, un héros chevelu tombe du plasma... Sans doute suis-je inconvenant, habillé en pékin, car la vendeuse insiste pour me munir au moins d’oreilles de Jedi. Une étrange humanité est rassemblée là, une secte difforme sortie des catacombes pour honorer au grand jour, par un sabbat rituel, le puissant Seigneur de l’Imagination... .



58. La mort

Quand je regagne l’assistance, le cercueil est déjà dans les cordes et ma mère pleure devant la fosse. Une femme en étole accablée d’un pénible accent dauphinois verse sur mon père les dernières bénédictions. Il y a longtemps qu’il n’y a plus de prêtre dans ces collines ; des laïcs les remplacent pour les quelques événements que, tout incroyant que l’on soit, on demande à la religion de sanctifier. On instituerait avec autant d’effets un culte à la Raison, avec les mêmes bouffées d’encens, les mêmes épis de glaïeuls jetés sur les cercueils, la croix du supplice remplacée par une équerre ou une étoile rouge et les prières par des élégies – ce que du reste, après les invocations aux mânes du défunt et les hypocrites promesses de vie éternelle, on fait déjà, comme je l’apprends à mes dépens : comme aîné des enfants, je dois improviser devant tous l’adieu qu’on a oublié de me commander et que la foule attend pour quitter la cérémonie. Un merle va et vient entre les tombes ; des arbres roux passent le mur d’enceinte ; quelques feuilles voltigent dans l’air : je ramasse ces choses muettes et, les greffant sur le message à Livia, je leur donne le nom de mon père. Pourquoi ne nous laisse-t-on pas finir en silence ? Rien ne nous empêchera de nous dissoudre. À peine si notre fantôme hantera quelque temps deux ou trois survivants, si notre ancienne apparence flottera sur quelques clichés bariolés qui bientôt pâliront, se troubleront, envahis par une brume colorée à quoi demain nous serons résumés, avant qu’elle aussi ne se dissipe et que, de nous, il ne reste plus rien.


Entretiens

[Audio] - « Les jeux de l'oie sont généralement enroulés en spirale autour d'un centre. Ce centre, c'est le paradis : le paradis de l'oie. Cette spirale revient de façon obsessionnelle dans le livre. (...) Il y en a de multiples évocations. L'évocation la plus forte est celle qui noue les récits entre eux. (...) Le récit est lui aussi en forme de spirale... ».      Entretien public avec Marc Koninckx (Radio Dragon - Carnets de voyage - 19 juillet 2019)

 

[Vidéo] - Parmi les personnages rencontrés figure Mireille Provence « l’espionne du Vercors », tristement célèbre pour avoir envoyé à la mort une quarantaine de maquisards en 1944. Gérard Cartier nous raconte cet épisode méconnu de la tragédie du Vercors.      Entretien avec Éric Veauvy à propos de Mireille Provence (Dauphiné Libéré - 21 juillet 2019)

 

Pour l'état-civil, elle était Simone Waro, épouse Reboul, née le 26 février 1915 à Lyon. Au registre de l'infamie, elle est restée Mireille Provence, délatrice du maquis, maîtresse d'un officier allemand et responsable de la mort d'une quarantaine de résistants...      Entretien avec Éric Veauvy à propos de Mireille Provence (Dauphiné Libéré - 21 juillet 2019)

 

« ...Vous avez raison de parler de « la cartographie du territoire » où se déroule l’action. La géographie est l’une des composantes majeures du roman. L’Oca nera s’inscrit presque entièrement dans la carte n°77 de Michelin, du Royans (à l’ouest du Vercors) jusqu’à l’entrée du Val de Suse, à l’orée de Turin. Le cartographe a même ajouté une excroissance dans la marge de la carte pour y représenter les lacs d’Avigliana – sans doute à ma seule intention, car s’y déroule l’une des scènes importantes du roman ! Seul Turin ne figure pas sur la carte : mais, au 1/200 000e, la ville ne serait qu’une tache. L’Oca nera est donc aussi le roman d’un territoire... »      Entretien avec Christian Rosset (Diacritik - juin 2019)

 

[Audio] - « – Comment est venue cette idée du jeu de l’oie ? – C’est le choix d’une structure qui soit assez forte, d’une part et, d’autre part, qui permette une certaine liberté. Le jeu de l’oie, naturellement, c’est l’appel au hasard. Quand on écrit, on a très souvent en tête des personnages, parfois pas encore totalement formés ; on a en tête, évidemment, une intrigue grossière ; mais on tient (en tout cas c’est mon cas) à laisser sa part au hasard, à la liberté de l’écriture. Le jeu de l’oie est donc une forme parfaite... ».      Entretien avec Florence Balestas et Marc Ossorguine (Divergence FM - Lectures par tous - 6-8 juin 2019)

 

Critiques

...Quoi qu’il en soit de sa complexité, et peut-être grâce à elle, L’Oca nera est un objet particulier, dont l’éclat singulier ne peut s’oublier, il demeure, il obsède, quitte à perdre peu à peu son contenu originel, à se prêter à de nouveaux voyages, à de nouvelles dérives, cette fois ceux et celles du lecteur, en bouillonnant générateur d’énergie créatrice.      Marie Étienne (En attendant Nadeau, 17 février 2023)


 
Les poètes que j'ai connus

« L’ingegnere Cartier » comme je me plais à le plaisanter. Il a travaillé dans les tunnels, sous la Manche (1985-93), sous l’Alpe : la liaison ferroviaire Lyon Turin dont il rapporte les péripéties burlesques dans son roman L’Oca Nera. (...) Une approche aussi de l’Histoire, ce cauchemar dont on ne peut s’éveiller comme dit Joyce. L’Histoire, ses bûchers, ses autodafés, ses camps de la mort, ses guerres coloniales, et pour lui surtout, cette épopée tragique du Vercors, qui hante sa vie et sa poésie dans L’Introduction au désert et Le Désert et le monde, et constitue la matière tragique, terrifiante, des 500 pages de L’Oca Nera....     Claude Adelen (Les poètes que j'ai connus, Tarabuste - juin 2022)


 

...Le narrateur de L’Oca Nera s’est constitué une ocathèque avec plusieurs centaines de planches. Peut-on penser que cette fièvre de la collection recèlerait comme une nostalgie des origines, « l’émotion du révolu » pour reprendre une expression de Jean Starobinski au sujet de l’écrivain Claude Simon et ses Photographies. Chez le narrateur, nostalgie et vertige de la possession ne sont peut-être pas si éloignés, et l’acte de collectionner ne répond-il pas d’ « une sorte d’exercice d’hygiène mentale », de son aveu même....     Nathalie Riera (Les Carnets d'Eucharis - mars 2020)

 

...À mi-chemin entre entre actualité, histoire et imaginaire, un récit foisonnant, au point qu'on en perd parfois le fil quelque peu alambiqué, mais où affleure une indéniable poésie. Qui n'est pas sans évoquer le célèbre « un coup de dé jamais n'abolira le hasard » de Mallarmé...     Dominique Vulliamy (L'Alpe n°86 - sept. 2019)

 

...Outre le motif le plus mystérieux – celui du jeu de l’Oca nera –, qui trouvera sa solution à la toute fin du livre, c’est le motif de la mémoire qui traverse l’ensemble du texte : « Que reste-t-il d’une vie si l’on s’en tient à sa mémoire ? » (...) Tout l’art et l’effort de l’auteur consiste à tisser, comme l’épeire sa toile, la vérité historique (la lutte anti TAV ou la collaboration), la plongée dans les souvenirs familiaux (la déportation de son père ou l’assassinat de son oncle) et l’invention romanesque...      Florence Balestas (Remue.net - juin 2019)

 

...on retrouve aussi le canard de Vaucanson, extraordinaire automate capable de digérer et déféquer des aliments, et l'auteur nous décrit même par le détail le code de Beltham utilisé pour crypter les messages pendant le dernière guerre. Si l'on ajoute que l'auteur est un amoureux de l'Italie dont il nous fait découvrir la géographie alpine, les œuvres d'art et jusqu'à la gastronomie, on comprendra toute la richesse de ce livre et les surprises qu'il nous réserve...      Clément Chavant (Babelio - juin 2019)

 

[Audio] - ...Non pas une, mais trois histoires. Trois récits dans trois temps différents, dans trois lieux différents : des récits enchassés qui vont se répondre et avoir des correspondances. Et une quête (...) La sinistre « espionne du Vercors », Mireille Provence, sur laquelle le narrateur enquête. Et là aussi un récit passionnant, presque un thriller, où on va pas à pas suivre cette femme cruelle...      Florence Balestas (Divergence FM -  Lectures par tous - mai 2019)

 

...Le jeu de l’Oie, né dans l’Italie du XVIème siècle, celle des académies un peu sulfureuses, n’était sans doute pas un simple jeu au même titre que les Tarots : divination et ésotérisme en sont la marque et L’Oca Nera montre cette fascination à rechercher ce qui est perdu, caché, oublié. Un beau Livre.      Marc Gentili (Unidivers - mars 2019)

 

Gérard Cartier qui est poète et ingénieur recourt ici avec maestria aux qualités a priori contradictoires qu’on prête généralement à ces deux manières particulières d’habiter et de concevoir le monde : rigueur, connaissances et sensibilité se combinent chez lui pour nous fabriquer une machine de lecture, riche en significations et résonances de toutes sortes. (...) On n’a que l’embarras du choix pour extraire dans ce livre très écrit, soucieux de son vocabulaire comme du rythme et des allures de sa phrase, un passage qui soit, non pas représentatif car la construction même de l’ouvrage, essentielle ici, rend cela impossible, mais qui témoigne en tout cas du talent d’écriture et de la profondeur de regard de l’auteur...      Georges Guillain (Les Découvreurs - février 2019)

 

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